Bonjour,
Suite à mon bilan publié dans un article précédent, je vous parlais de la thérapie nucléaire métabolique au lutétium 177 dont je vais bénéficier…si la réponse du traitement est identique à celle de ce patient de 63 ans ( voir ci-dessous) je suis preneur
Contexte
La médecine nucléaire, à l’origine une discipline diagnostique, évolue aussi de plus en plus vers un domaine de spécialité thérapeutique. Dans le contexte des tumeurs neuroendocrines (TNE), l’efficacité élevée des radioligands thérapeutiques (DOTATATE marqué au lutétium 177 [177Lu]; Lutathera®, Advanced Accelerator Applications SA, Saint-Genis-Pouilly, France) a été bien illustrée pour les TNE de l’intestin grêle [1]. Une réduction du taux de récidive de 80% par an a été obtenue par rapport à un traitement par octréotide à longue durée d’action (Sandostatin® LAR®, Novartis Pharma, Rotkreuz, Suisse). Cette amélioration impressionnante de la survie sans progression est attribuable d’une part à l’activité élevée des radio-isotopes thérapeutiques à vie longue et d’autre part au principe consistant à mettre en évidence, avant une utilisation thérapeutique, l’expression de l’antigène cible au moyen de la tomographie par émission de positons couplée à la tomodensitométrie (TEP/TDM) ou de la tomographie par émission monophotonique couplée à la tomodensitométrie (TEMP/TDM); technique de médecine nucléaire conventionnelle). Ce principe consistant à cerner une maladie à l’imagerie au moyen d’un radiopeptide diagnostique, puis à mettre en œuvre un traitement au moyen d’une radiopeptide thérapeutique quasiment identique, s’appelle la «théranostique», qui est la contraction de «thérapie» et «diagnostic». Cette dernière contribue largement à pouvoir sélectionner les patients adéquats pour un traitement pour ensuite obtenir des résultats thérapeutiques prévisibles, et surtout meilleurs.
Théranostique
Le principe de la théranostique peut d’une manière générale s’appliquer à chaque maladie disposant d’une structure cible pouvant être marquée in vivo par des radioligands correspondants. Au cours des dernières années, le traitement par radioligands ciblant l’antigène membranaire spécifique de la prostate («prostate-specific membrane antigen», PSMA) a suscité une attention toute particulière. A l’étranger, ce traitement est déjà de plus en plus proposé. Les résultats de diverses études ont été publiés et présentés lors de congrès. Le récepteur du PSMA est un récepteur membranaire qui est exprimé dans le tissu prostatique et, dans une moindre mesure, dans le système nerveux périphérique et central, ainsi que dans le tissu de l’intestin grêle et des glandes salivaires. Dans le tissu prostatique, le récepteur se retrouve principalement dans les cellules cancéreuses en cas de carcinome prostatique; son expression augmente avec le degré de dédifférenciation et reste également une «cible» en situation hormono-réfractaire [2]. Cette expression stable du récepteur du PSMA sur les cellules prostatiques malignes au fil de l’évolution de la maladie avait déjà abouti au cours de la dernière décennie au développement de premiers radiotraceurs iodés à visée diagnostique pour le PSMA, mais c’est uniquement l’introduction d’un traceur de TEP marqué au gallium 68 (68Ga) qui a déclenché le véritable intérêt pour la théranostique.
La combinaison avantageuse d’une répartition des récepteurs du PSMA avant tout sur les tissus tumoraux des carcinomes de la prostate et d’une sensibilité et spécificité très élevées des radiotraceurs du PSMA a amené à poursuivre le développement théranostique des ligands du PSMA pour une utilisation thérapeutique. Après des données initiales prometteuses, nous disposons actuellement de données relativement nombreuses issues de plusieurs études et séries. De premières études de distribution du PSMA-617 marqué au 68Ga ont été réalisées à la fin 2015. Une accumulation très élevée a été constatée à la fois dans les tumeurs et dans les glandes salivaires et les reins [3]. A la mi-2016, de premiers résultats sur le traitement par PSMA-617 marqué au 177Lu ont été publiés. Une réponse de l’antigène prostatique spécifique (PSA) a été observée chez 21 patients sur 30, 13 patients sur 30 ayant présenté une diminution du PSA de plus de 50%. Les effets indésirables se limitent à une hématotoxicité légère, ainsi qu’à une xérostomie occasionnelle (<10%) [4]. Ces données ont été validées dans d’autres études multicentriques [5, 6]. Les signes d’une atteinte hépatique, avec transaminases élevées ou albumine basse, ont été identifiés comme le principal facteur prédicteur d’une plus mauvaise réponse au traitement [7]. Dans la même étude, la survie globale moyenne s’élevait à 60 semaines chez les patients ayant reçu de multiples traitements préalables. Dans une revue systématique récemment publiée, le PSMA marqué au 177Lu administré comme traitement de troisième ligne s’est révélé être une alternative bien tolérée et potentiellement efficace (survie globale de 11 mois [7–20 mois]) [8].
Le cas d’un patient de 63 ans avec adénocarcinome de la prostate hormono-réfractaire est présenté à titre d’exemple dans la figure 1.
Sur la base des données issues de ces études, la substance a été mise sous licence en 2017 par Endocyte (Endocyte Inc. West Lafayette, IN, Etats-Unis). Les premières données d’études prospectives de phase II ont montré, chez des patients principalement prétraités par chimiothérapie (87%), une réduction du PSA dans 57% des cas. Les toxicités décrites étaient avant tout une légère sécheresse buccale (87%), des nausées transitoires (50%) et une fatigue (50%), ainsi qu’une thrombocytopénie (13%). A l’imagerie, une réponse a été mise en évidence chez 82% des patients. Une amélioration symptomatique des troubles subjectifs associés a été observée chez 37% des patients [9].
Après ces données prometteuses provenant principalement d’études de phase II, une étude de phase III doit désormais montrer si la réponse et l’efficacité du traitement par PSMA marqué au 177Lu se confirment également dans le cadre d’une comparaison randomisée et si le marqueur de substitution qu’est la réduction du PSA se traduit également par un bénéfice clinique, idéalement par un avantage de survie.
Une étude de phase III randomisée, prospective, multicentrique et multinationale (étude VISION; NCT03511664) commence actuellement à recruter des patients. Les critères d’inclusion sont un cancer de la prostate métastatique résistant à la castration après au moins une chimiothérapie à base de taxane, un traitement antihormonal de nouvelle génération et une PET/TDM au 68Ga-PSMA positive (>80% des métastases PSMA-positives). La survie globale a été choisie comme critère d’évaluation primaire. Les autres critères d’évaluation secondaires incluent la survie sans progression radiologique, la réponse radiologique («RECIST») et la survenue de «skeletal related events» (SRE). Les résultats de cette étude seront déterminants pour savoir dans quelle mesure cette modalité thérapeutique fera son entrée dans le traitement standard du cancer de la prostate métastatique résistant à la castration dans un contexte post-chimiothérapie.
Les développements et perfectionnements qui ont lieu dans le domaine des traitements de médecine nucléaire basés sur les récepteurs et peptides décrivent un nouveau paradigme dans notre domaine de spécialité. Une fois de plus, nous assistons à la transformation d’une discipline essentiellement perçue comme diagnostique en une discipline thérapeutique ou théranostique, avec un grand potentiel d’évolution. Concernant le traitement par PSMA par ex., des développements supplémentaires faisant intervenir des émetteurs alpha particulièrement puissants (isotopes émettant des noyaux d’hélium) ont lieu. Les premiers résultats obtenus chez des patients atteints de cancer de la prostate avancé semblent prometteurs, avec une diminution du PSA chez plus de 90% des patients et peu d’effets indésirables [10]. Ces résultats sont toutefois très préliminaires et doivent être validés dans de plus grandes études.
De nouveaux traceurs théranostiques sont d’ores et déjà développés, par ex. des peptides contre la «fibroblast activated protein» (FAP) dans le cadre de diverses tumeurs solides [11], contre le «chemokine receptor 4» (CXCR4) dans le cadre du myélome multiple [12] ou contre le récepteur de la cholécystokinine-2 (CCK2R) dans le cadre du cancer médullaire de la thyroïde [13], et testés dans de premières séries chez l’être humain. Cela illustre clairement que nous n’en sommes qu’au début d’une évolution captivante et prometteuse des possibilités théranostiques.
Discussion
L’avenir nous montrera dans quelle mesure ces thérapies feront leur entrée dans le traitement standard. Il est néanmoins certain que la médecine nucléaire, en tant que discipline, change et doit changer afin de pouvoir répondre à toutes ces évolutions rapides. A l’avenir, la médecine nucléaire devra encore prendre une orientation plus clinique et en conséquence, être davantage perçue comme une discipline clinique ou un partenaire clinique. Il faut tenter d’établir des collaborations avec nos collègues par ex. de l’oncologie, de l’urologie, de la gynécologie ou de l’endocrinologie afin de, espérons-le, mettre à disposition de nos patients ces nouveautés dès qu’elles ont été validées cliniquement.
source : https://medicalforum.ch/fr/detail/doi/fms.2019.03445 dossier PDF avec sources