Hum…miam miam le beau kit raclettes chargé en nitrites…Un rapport parlementaire présenté ce mercredi recommande le bannissement, d’ici à 2025, des nitrites utilisés dans les charcuteries, des additifs potentiellement cancérigènes. Un risque déjà pointé du doigt en 1979. On verra au printemps, quel avis donnera le parlement.
Le député MoDem Richard Ramos a déposé le 13 janvier 2021, une proposition de loi nº 3683 relative à l’interdiction progressive des additifs nitrés dans les produits de charcuterie. Projet de loi basé sur les conclusions d’un rapport constitué d’une série d’auditions de scientifiques reconnus, à l’instar de celle du professeur Axel Kahn, président de la Ligue contre le cancer, qui corrèlent l’augmentation du caractère cancérigène de la viande à celle de l’introduction de nitrites dans les préparations.
Les alertes concernant les potentiels risques cancérigènes sont anciennes, ainsi le 26 avril 1979, le magazine de la consommation de TF1, consacre un long sujet à cette question déjà épineuse.
Le présentateur rappelle l’historique de l’introduction des nitrites pour la conservation de certains aliments.
« Souvenez-vous, il y a quelques semaines, nous recevions le cancérologue Léon Schwartzenberg pendant notre émission où il avait évoqué l’influence des nitrites comme cause possible du cancer. Or, nous consommons des nitrites, notamment lorsque nous mangeons du jambon, mais aussi, naturellement, lorsque nous mangeons des épinards, du céleri ou des carottes. Nous avons donc de nouveau ouvert ce dossier. Un dossier complexe et qui n’est pas encore classé. Mais d’abord, un peu d’histoire. Jadis, que faisaient nos grands-parents pour conserver leur jambon ? Ils les mettaient au frais dans les caves et les jambons se recouvraient par l’effet de l’humidité et du sel d’un salpêtre, c’est-à-dire de nitrate de sodium. Nitrate de sodium qui se transformait à l’intérieur du jambon en nitrites. Jusque-là, pas de problème, direz-vous. Mais lorsque fut reconnu le rôle de ces nitrates sur la conservation, sur le goût et sur la coloration, le nitrate qui se transformait en nitrites. On décida de faire une salaison directement aux nitrites, c’est-à-dire que les deux stades précédents étaient supprimés. D’où, gain de temps et aussi gain d’argent. Seulement voilà, les nitrites sont d’un maniement délicat, car ce sont des substances dangereuses, des substances toxiques et, dans certains cas, même mélangées à d’autres substances se trouvant dans les aliments, forment des nitrosamines cancérigènes« .
Puis suit une enquête réalisée par Jean-Charles Deniau sur l’emploi des nitrites en charcuterie, « une pratique traditionnelle très ancienne. On les employait depuis très longtemps, sans connaître leur mode d’action. On savait simplement qu’il servait à la conservation des salaisons. Depuis quelques années, leur présence dans les aliments préoccupe les hygiénistes : quel est donc le rôle de ce produit, quotidiennement utilisé en charcuterie » ?
« Tous les fabricants utilisent des nitrates ou des nitrites »
Alain Le Touze, directeur technique dans une charcuterie industrielle décrit la fonction des nitrites : « le nitrite a trois rôles absolument fondamentaux et extrêmement importants dans la viande. Le premier, certainement le plus important, est qu’il a un rôle bactériostatique, c’est-à-dire qu’il tue les microbes extrêmement dangereux, comme ceux responsables de la maladie du botulisme. Le second rôle du nitrite, c’est de se combiner à la viande et de lui donner une pigmentation rose. C’est ce qui fait la caractéristique essentielle des salaisons et des charcuteries. Il est également prouvé que les salaisons ont une flaveur, un certain goût particulier, et que ce goût particulier est dû à la présence de nitrites. (…) Tous les fabricants utilisent des nitrates ou des nitrites. D’ailleurs, s’ils n’en utilisaient pas, il y aurait d’énormes risques pour la santé publique ».
Le reporter lui demande s’il y a des nitrites dans les conserves de charcuterie. Ce que confirme l’industriel, « il y en a dans la plupart des conserves, alors, essentiellement pour la coloration du produit, pour sa pigmentation et également pour le rôle bactériostatique ».
« Il y en a trop. Il y en a souvent plus que les doses qui sont autorisées… »
A l’époque, le laboratoire coopératif a réalisé plusieurs séries d’analyses portant sur les produits de saison. Monsieur Custot fournit les conclusions inquiétantes de cette étude : « la conclusion qu’on retire est en général : il y en a trop. Il y en a souvent plus que les doses qui sont autorisées quand ces limites existent. Et de toute façon, il y en a beaucoup plus qu’il n’est souhaitable du point de vue hygiénique ».
Mais pourrait-on se passer des sels nutritifs qui sont utilisés ? Lui demande le journaliste, sa réponse est catégorique, « je pense que non. Je pense que les nitrites jouent un rôle non seulement colorant, puisque c’est son rôle, c’est pour donner au jambon et aux salaisons cette belle couleur, et ça, on pourrait probablement s’en passer, souligne-t-il. Mais il y a aussi un rôle antiseptique, notamment vis-à-vis du bacille botulique, qui fait que je pense qu’on ne doit pas pouvoir s’en passer ».
Il nuance néanmoins ce propos, « je voudrais dire qu’il est absurde de mettre des nitrites dans les salaisons en conserve, parce que quand on stérilise, on a plus besoin d’un antiseptique pour détruire le bacille botulique. Et deuxièmement, je pense, sans en être certain, que les doses actuellement utilisées de nitrites peuvent être diminuées sans danger, peut-être pour la santé. A l’appui de cette éventuelle thèse, je cite l’expérience des coopératives de consommation du Danemark qui ont fixé pour leur produit des doses de nitrites volontairement nettement inférieures aux doses maximales admises par la réglementation et qui, jusqu’à présent, n’ont aucun problème et notamment, aucun problème de botulisme« .
« Les risques sont sûrement importants, bien qu’ils puissent difficilement être quantifiés »
Le cancérologue Léon Schwartzenberg est également interrogé pour cette enquête, ses conclusions sont toutes aussi inquiétantes : « En ce qui nous concerne, nous sommes inquiets dans la mesure où les nitrites, une fois ingérés, se combinent avec des amines présentes dans le tube digestif pour fabriquer un produit très cancérigène qui est la nitrosamine. Et la nitrosamine est connue pour donner chez l’animal d’expérience, des cancers du foie. Et les nitrosamines peuvent induire chez l’homme les cancers du tube digestif et éventuellement, même lorsqu’elles franchissent la barrière qui sépare le système sanguin du système cérébral des tumeurs cérébrales. » Il conclut, »les risques sont sûrement importants, bien qu’ils puissent difficilement être quantifiés ».
Le médecin répond ensuite à la question, « Peut-on alors se passer des nitrites dans les aliments » ?
« Si les nitrites sont essentiellement liés à la couleur de la viande pour la rendre appétissante, on peut facilement s’en passer. L’Humanité a appris à vivre pendant des années en mangeant de la viande un peu moins rose que la nôtre et les rôtis de porc ne déparent pas les tables des ménagères malgré leurs couleurs moroses, comme on dit ». Sa conclusion est ironique mais sans appel, »si c’est uniquement pour ces motifs, c’est pour des motifs qu’on a bassement le droit d’appeler, des motifs de pure consommation ». Pour lui, on pourrait donc s’en passer, notamment dans les conserves.
D’un côté, le risque de cancer, de l’autre côté, le risque botulique…, le professeur nuance « le risque botulique, on joue avec en réalité. On joue avec les risques botuliques avec en arrière fond, la coloration des aliments, alors que le risque de cancer est malheureusement mal quantifiable, mais indiscutablement connu, puisque les nitrosamines, qui se fabriquent chez tous les individus qui avalent des nitrites sont des produits cancérigènes« .
« La teneur en nitrites se trouve limitée à 150 milligrammes par kilo dans les salaisons… »
En plateau, le présentateur apporte une précision en lisant la réponse écrite par Simone Veil, ministre de la Santé, à l’époque, sur ce problème.
« Le ministre de la Santé fait savoir à l’honorable parlementaire [ Francis Palméro], que le nitrite de sodium est autorisé comme additif dans certains aliments pour empêcher le développement du Clostridium botulinum et de ses toxines qui sont responsables d’une affection gravissime qui s’appelle le botulisme dont vous venez d’entendre parler. Les pouvoirs publics limitent au strict nécessaire les quantités de nitrites dans l’alimentation depuis la mise en application de l’arrêté du 8 décembre 1964. La teneur en nitrites se trouve limitée à 150 milligrammes par kilo dans les salaisons, les produits de charcuterie et les conserves de viande. Ces teneurs sont d’ailleurs internationalement admises« .
Le journaliste conclut en précisant que si comme le déclarait le professeur Schwartzenberg, ces nitrites ne servaient qu’à la coloration des produits, « on pourrait peut-être en faire l’économie« .
Aujourd’hui encore 76% environ de la charcuterie mise sur le marché dans la grande distribution contiendrait des nitrates ou des nitrites », indique le rapport dont les préconisations sont à l’origine du dépôt d’une proposition de loi faite par le député Richard Ramos le 13 janvier 2021. Le parlement donnera son avis au printemps.
Pour aller plus loin
Le lien vers la proposition de loi relative à l’interdiction progressive des additifs nitrés dans les produits de charcuterie.
Les additifs dans la charcuterie. Madame Doucet, une ingénieure-chimiste, représentante de UFCS-UROC (Union Féminine Civique Et Sociale et Union Féminine Civique et Union Régionale des associations de Consommateurs Sociale) explique pourquoi les nitrites ont été ajoutés à la charcuterie et les conséquences de cette consommation chez les enfants. Face à elle, monsieur Delage, le directeur de la fédération des industries agro-alimentaires rappelle le rôle des nitrites dans la charcuterie (notamment contre le risque mortel du botulisme). (21 novembre 1979)
Magazine du consommateur de TF1 : le botulisme : reportage et explication par le professeur Apfelbaum (22 janvier 1980)
20 heures de F2 : l’OMS classe la charcuterie cancérigène. Reportage. Des experts de l’OMS affirment que le sel et les nitrites utilisés pour la conservation des charcuteries augmentent les risques de cancer. (26 octobre 2015)
20 heures de F2 : la fabrication du jambon. Reportage consacré à la fabrication du jambon industriel et artisanal. (29 octobre 2015)
13 heures de F2 : le succès du jambon marron. Dans le Tarn et Garonne, un jambon profite des dernières révélations du magazine Cash Investigation, il dénonçait l’utilisation des nitrites pour donner sa couleur rose au produit (7 octobre 2016)
20 heures de F2 : antibiotiques, conservateurs… et si le jambon était moins rose. Reportage consacré au jambon cuit au sel nitrité, depuis la diffusion d’un documentaire ayant fait des révélations sur la probable dangerosité des nitrites du jambon ajouté afin que le jambon soit rose. (22 mars 2017)
19-20, Edition nationale Alimentation : la chasse aux nitrites. Reportage. Consommation et alimentation. Des écologistes ont mené une opération coup de poing dans plusieurs grandes surfaces pour dénoncer l’utilisation de nitrites par les industriels. Les nitrites sont des conservateurs qui donnent aussi la couleur au produit et qui seraient responsables de 20 % des cancers colorectaux. Gros plan sur une opération menée par des militants dans deux supermarchés parisiens. (5 février 2018)
Nitrites et cancer: 12-13 Edition nationale. »Stop aux nitrites »… L’ONG Food Watch et la ligue contre le cancer lancent aujourd’hui une pétition pour demander son interdiction dans les produits alimentaires. Ils pourraient jouer un rôle dans l’apparition de certains cancers digestifs. L’industrie agro-alimentaire, elle, estime que les nitrites sont indispensables pour conserver en toute sécurité certains aliments, notamment la charcuterie. Avec le témoignage d’Axel Khan. (20 novembre 2019)
Florence Dartois
Rédaction Ina le 14/01/2021 à 13:13. Dernière mise à jour le 14/01/2021 à 13:18.