Mardi 20 mai, couché vers 23H. Le lit, un lieu cajoleur des douleurs.
3 h du matin miction normale.
7h30 sur mes deux jambes, et là…impossible d’uriner, c’est bloqué…je bois quand même un verre d’eau.
Françoise téléphone au service d’hospitalisation en oncologie, pas de médecin, il faut rappeler plus tard.
J’avale quelques cornflakes, noisettes, raisins secs.
Finalement le médecin nous conseille d’aller aux urgences, il prévient de notre arrivée.
Françoise démarre la voiture et se met à pleurer : « ça va bien se passer, ne t’inquiète pas… ».
Mon besoin d’uriner augmente, je vais pouvoir attendre… les urgences, on connaît…la voiture aussi, elle nous y emmène presque toute seule.
9 heures. L’accueil est rapide. A écouter le personnel, l’activité est déjà bien intense… avec le Covid, le contexte est difficile, l’organisation est calculée.
Quelques questions, on me prend les constantes. Pas de fièvre. J’attends dans une salle. L’infirmière, avec humour, me demande de compter les losanges qui décorent le mur bleu ; je renonce, avec un sourire, à son aimable proposition.
Devant moi, une femme âgée en fauteuil – elle tousse très gras – présente pour des vertiges.
Un temps d’attente qui permet de se concentrer, de penser présent, je reste confiant.. coup de fil à Françoise, restée dans la voiture : « tu peux rentrer à la maison tu sais, l’épisode va prendre du temps, merci à toi bisous ».
Sur le brancard, j’ai la bonne position pour ne pas ressentir ma vertèbre déficiente, le corset m’enveloppe depuis 15 jours, on est devenu « amis ».
10 minutes d’attente et c’est mon tour.
Les passages de porte secouent le dos, genre « gendarmes couchés » qui obligent les voitures à ralentir.
Un jeune interne se présente, il m’accompagne dans un bloc, je lui raconte mon histoire, cancer de la prostate avec métastases osseuses, dont une en D8… peut-être la cause de la situation. Je le sais, une compression médullaire de la moelle peut provoquer des dysfonctionnements urinaires.
L’interne mène l’enquête assis devant son ordinateur…
L’envie d’uriner progresse. Vous avez des allergies, du diabète ??…non, à part ce cancer qui me tient depuis 2013, tout va bien. Je lui raconte mon épisode, quelques années en arrière : du sang dans les urines avait provoqué un blocage avec des caillots. Et puis il peut y avoir comme cause la prise de morphine actuelle qui enraye mes douleurs de la dorsale.
Le médecin retient ces deux dernières hypothèses.
Il souhaite faire une échographie de la vessie mais son appareil ne fonctionne pas. Aides soignantes, infirmières s’agitent dans le box. Une sonde urinaire va m’être posée. Je le sais, je me suis préparé…je connais l’exercice.
Je sens l’infirmière préposée au geste, un peu perturbée. Elle se plaint du matériel mis à disposition et semble être préoccupée par son rendez-vous imminent avec la cadre.
Petite toilette, ça rafraîchit les parties…
C’est parti…elle injecte un produit…puis la sonde, passage douloureux, je serre les dents, les poings serrés…jusqu’au moment ou l’infirmière dit : « désolée, mais ça ne passe plus, ça monte pas…ça va Monsieur ?? ».
Et pourtant les autres fois, le chemin avait été trouvé spontanément. L’infirmière abdique…replie son matériel, et part rapidement pour son rendez-vous avec la cadre.
J’ai la présence d’esprit de demander un urinoir à une aide soignante de passage, elle me dépose gentiment le carton, je me retrouve seul dans le bloc.
Pendant ce temps, l’interne demande de l’aide aux urologues.
Je reste concentré, je réfléchis…même si la sonde n’a pas été jusqu’à la vessie, la voie est ouverte. Et oui… j’urine et pas qu’un peu. Seul dans le bloc je respire.
Fier de moi je veux en faire part au personnel soignant, pas de poire avec le point rouge sur lequel on appuie.
« s’il vous plaît, s’il vous plaît… » personne ne répond, je reste avec mon carton tout chaud.
La porte du bloc s’ouvre, de nouvelles infirmières prennent le relais pour me sonder de nouveau…le fait de leur avoir transmis la nouvelle de mon pipi « héroïque », ne les a pas convaincues…elles veulent me re-sonder. Très vite, j’affiche un désaccord, même caché par le masque, mon sentiment transpire.
Le médecin entend ma demande, et suggère de ressortir son échographe. Cette fois-ci, il fonctionne et affiche que la vessie a bien fait son travail.
Ouf !!! ça c’est fait. Je ne suis plus en état d’urgence.
Entre temps un jeune neurologue de passage m’examine…ouf la cause ne concerne pas sa spécialité. Je le remercie pour sa visite et son amabilité.
Assis dans mon fauteuil, je reste dans le bloc vide, décoré par les équipements médicaux….je demande à boire, j’ai très soif…
L’infirmière qui m’avait sondé me fait une prise de sang en me posant une voie sur la main droite, décidément pas de chance avec moi… la voie ne s’installe pas comme elle le souhaite. « Cassez la voie » j’avais envie de crier. Elle a suffisamment de mon liquide vital pour sa biologie.
Une longue attente s’installe, je consulte mon portable, je fais une étude comparative des climatiseurs portables ( pas écolo du tout ) mais je sens que l’été va être trop chaud.
L’eau du robinet est limpide, le goût est âpre. Je dois remplir de nouveau ma vessie.
Dans le bloc d’à côté, des cris d’une douleur déchirante, luxation du genou…la souffrance fait vibrer le service.
Une aide soignante vient me prendre de nouveau les constantes, je la sens tendue, mal à l’aise… le rythme est soutenu. J’essaie d’établir le contact… savoir comment va son boulot, depuis combien de temps elle exerce…des petites attentions verbales qui détendent l’atmosphère. Elle échange avec moi, et me parle de ses 10 ans d’univers d’urgences.
Je partage… pas facile ce métier de « première ligne » comme on dit, avec des personnes en souffrance, prises par la peur, la douleur, l’inquiétude… ronchonnes parfois.
12h45 : je sors du bloc… nouvel univers : le couloir.
Sur les murs des informations, des étiquettes… » je lis : place réservée patients COVID …j’aurai bien vu une de mes photos pour égayer l’espace.
J’opte pour le fauteuil, mon dos félicite ce choix.
Ça brasse dans le couloir…à côté de moi, un gentil monsieur chante la marseillaise et remercie les aides soignantes à haute voix, il met l’ambiance, le personnel sourit en passant et, comme il a soif, j’essaie de l’aider…
De l’autre côté, la personne manque de globules rouges, elle va être transfusée…devant moi, une entrée au bloc 6, sans connaissance, il faut la ranimer.
La vie me direz-vous… les émotions me gagnent.
12h45 mon estomac réclame, je demande à l’aide soignante avec laquelle nous avons échangé, si il est possible de manger quelque chose. Elle me répond qu’aux urgences les repas ne sont pas prévus. Juste le temps de sortir le regard de mon portable, un fromage blanc et une compote garnissent mon plateau…sourire, remerciements chaleureux.
Je commence à trouver le temps long, derrière le masque : je respire mon CO2 vicié, je ferai mes séances d’oxygénation plus tard. Il a plus de 3 heures d’utilisation, le personnel est occupé à d’autres tâches. Je n’ai pas le choix, je suis là…j’attends.
Et puis, le covid vient me prendre la tête, je suis en risque. Ma fille me rassure par texto, elle me dit que je suis déjà immunisé, me rappelant qu’en janvier, comme bon nombre, j’ai eu de la toux, de la fatigue qui n’en finissait pas…Ce virus aurait-il sévi avant qu’on en parle vraiment ?? Probablement. En tout cas, ça me rassure.
Petit moment d’accalmie, les aides soignantes nettoient le matériel. Je ressens une grande solidarité dans les équipes… même si la cheffe, talon aiguille, pantalon moulé, ne m’inspire pas trop, sensation qu’elle est « décalée » dans cet univers.
Attendre, c’est le crédo du patient (lol) l’impression de ne plus exister m’encombre, mon cas à été traité, maintenant je fais potiche.
Un sourire, un verre d’eau… tout ça c’est du rêve. L’urgence prime.
Je me dis que je n’ai pas à me plaindre, j’urine.
16h30, toujours pas de nouvelles, je suis épuisé de rien faire. Mais mon dos me parle. Je dégourdis mes jambes dans le couloir, petit passage aux toilettes, pour vérifier si la mécanique fonctionne.
17h30 l’interne vient me voir enfin pour faire le bilan, rien de grave. Je vais sortir, je le remercie, une visite chez l’urologue sera nécessaire.
17h35 Sortie des urgences. D’autres personnes attendent pour se faire soigner. Je craque, je suis en pleurs…journée trop chargée.
Françoise m’attend dans la voiture pour me réconforter.
Prochaine étape le dos.
Ton excellent récit me rappelle de mauvais souvenirs!…
Retapes toi bien.